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JUGEMENT (par Agrippa d'Aubigne)

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Jugement (vers 981-1022)

O enfans de ce siècle, ô abusez mocqueurs,
Imployables esprits, incorrigibles cœurs
Vos esprits trouveront en la fosse profonde
Vrai ce qu'ils ont pensé une fable en ce monde.
Ils languiront en vain de regret sans merci,
Vostre âme à sa mesure enflera de souci.
Qui vous consolera ? L'ami qui se désole
Vous grincera les dents au lieu de la parole.
Les Saincts vous aimoyent-ils ? Un abysme est entr'eux;
Leur chair ne s'esmeut plus, vous estes odieux.
Mais n'espérez-vous point fin à vostre souffrance ?
Point n'esclaire aux enfers l'aube de l'espérance.
Dieu auroit-il sans fin esloigné sa merci ?
Qui a péché sans fin souffre sans fin aussi;
La clémence de dieu fait au ciel son office,
Il desploye aux enfers son ire et sa justice.
Mais le feu ensouffré, si grand, si violent,
Ne destruira-il pas les corps en les bruslant ?
Non : Dieu les gardera entiers à sa vengeance,
Conservant à cela et l'estofe et l'essence ;
Et le feu qui sera si puissant d'opérer
N'aura de faculté d'esteindre et d'altérer
Et servira par loy à l'éternelle peine.
L'air corrupteur n'a plus sa corrompante haleine,
Et ne fait aux enfers office d'élément ;
Celui qui le mouvoit, qui est le firmament,
Ayant quitté son bransle et motives cadances
Sera sans mouvement, et de là sans muances.
Transis, désespérés, il n'y a plus de mort
Qui soit pour vostre mer des orages le port.
Que si vos yeux de feu jettent l'ardente veuë
A l'espoir du poignard, le poignard plus ne tue.
Que la mort, direz-vous, estoit un doux plaisir !
La mort morte ne peut vous tuer, vous saisir.
Voulez-vous du poison ? En vain cet artifice.
Vous vous précipitez ? En vain le précipice.
Courez au feu bruslez : le feu vous gèlera;
Noyez-vous : l'eau est feu, l'eau vous embrasera.

La peste n'aura plus de vous miséricorde.
Estranglez-vous : en vain vous tordez une corde.
Criez après l'enfer : de l'enfer il ne sort
Que l'éternelle soif de l'impossible mort.




Théodore Agrippa d'Aubigné. Extrait du poème épique "Les Tragiques" (1577).
:bulletblue: Un extrait de l'oeuvre la plus connue d'Agrippa d'Aubigné, le protestant le plus virulent de France, compagnon de jeunesse d'Henri IV. Oeuvre militante, vouant aux gémonies les ennemis de la réforme, elle contient des passages magistraux ; dont celui que je livre ici. Flamboyant, épique, guerrier, avec cette célèbre conclusion :

"Criez après l'enfer : de l'enfer il ne sort // Que l'éternelle soif de l'impossible mort."

Vous trouverez aisément plus de détails de la vie d'Agrippa sur Wikipédia ou dans une encyclopédie historique. Un personnage peu banal !

J'ai conservé une partie de la graphie originale, cela rend mieux et ne gêne pas la lecture

Pour le dossier "Vos poèmes favoris" dans :iconnotreforteressebrule:
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Stolvezen's avatar
Puissant et magistral :heart: